31.08.2023

La Russie suspend les principales dispositions de la convention de double imposition conclue avec la France et d’autres États « inamicaux

Le 8 août 2023, le président russe a promulgué le décret n° 585 (ci-après dénommé – le décret [1] ) qui suspend unilatéralement – de la part de la contrepartie russe – la plupart des dispositions matérielles des conventions visant à éviter la double imposition (ci-après dénommées « conventions de double imposition »). les DTA) conclu entre la Russie et les États dits inamicaux qui ont imposé des sanctions à la Russie.

Le recours concerne 38 CDI, dont celle conclue avec la France le 26 novembre 1996 (ci-après la CDI franco-russe).[2]

La suspension est effective à partir du 8 août 2023, jusqu’à ce que les États inamicaux « remédient à leurs violations des intérêts légitimes, économiques et autres, de la Russie, des droits de ses ressortissants et de ses personnes morales, ou jusqu’à l’extinction de ces traités internationaux à l’égard de la Russie ».

La suspension a été légalement adoptée en vertu de la loi fédérale russe sur les traités internationaux qui autorise le président, dans des situations nécessitant des mesures urgentes, à suspendre l’effet d’un traité international qui a été ratifié par la loi fédérale.[3] Bien que le décret mentionne la nécessité de prendre des mesures urgentes en raison des actions inamicales d’un certain nombre d’États (sanctions), comme l’exige la loi fédérale russe, cela peut être insuffisant pour servir de motif à une suspension unilatérale du point de vue du droit international (et notamment de l’article 60 de la Convention de Vienne sur le droit des traités). Ce dernier point peut être l’un des facteurs à prendre en compte par les États dits inamicaux lorsqu’ils élaborent leurs mesures de riposte.

Vous trouverez ci-dessous notre résumé de ce qui va changer pour les entreprises françaises continuant à opérer en Russie et pour les investisseurs français et russes.

Aperçu des dispositions suspendues

Le décret a suspendu l’effet des articles 5 à 22 et 24 de la CDI franco-russe, ainsi que des paragraphes 2 à 9 de son protocole. Les dispositions suspendues portent principalement sur les points suivants :

  • Les règles de répartition fiscale qui déterminent les droits d’imposition entre les États et prévoient certaines limites à l’imposition des revenus des résidents étrangers (par exemple, le taux maximum de retenue à la source). Il s’agit de l’imposition des revenus des établissements stables, des bénéfices des entreprises et des revenus des services indépendants, des revenus immobiliers, des dividendes, des intérêts, des redevances, des plus-values, des revenus du travail et des revenus divers (cachets d’artistes et de sportifs, pensions, revenus de source publique, revenus d’étudiants et autres revenus, etc.)
  • Dispositions relatives à la fiscalité de la propriété ou du patrimoine.
  • Clauses de non-discrimination.
  • Dépenses déductibles pour les établissements permanents.

Les articles relatifs à la résidence et aux situations de conflit de résidence (règle du « tie-breaker ») (art. 4), à l’élimination de la double imposition (art. 23), aux procédures amiables (art. 25) et à l’échange d’informations (art. 26) ne sont pas affectés.

Conséquences de la suspension

La suspension des dispositions susmentionnées de la CDI franco-russe est destinée à affecter principalement les sociétés mères françaises ayant des filiales en Russie, les sociétés françaises n’ayant pas d’établissement permanent et les personnes physiques résidentes en France ayant des revenus de source russe(voir I/ Conséquences pour les résidents fiscaux français).

Ceci étant dit, les résidents fiscaux russes peuvent également être affectés négativement.

I/ Conséquences pour les résidents fiscaux français

Les principales conséquences de la suspension de la CDI franco-russe pour les résidents fiscaux français (entreprises exerçant encore des activités en Russie ou particuliers ayant des revenus en provenance de Russie) peuvent être résumées comme suit :

EN RUSSIE

  • Augmentation des taux de retenue à la source ou nouvelle imposition en Russie sur les revenus passifs d’origine russe.
Personnes physiques – Impôt russe sur le revenu des personnes physiquesSociétés – Impôt russe sur le revenu des sociétés
 Avant la suspensionAprès la suspensionAvant la suspensionAprès la suspension
Dividendes15%15%5%/10%/15% 15%
Intérêt0%30 % (sauf % sur les dépôts bancaires soumis à l’impôt au taux de 13 %/15 %)0%20%
Redevances0%30%0%20%
Plus-values (à l’exception des actions de sociétés immobilières, c’est-à-dire ayant > plus de 50 % de biens immobiliers dans leurs actifs)0%30 % (pour les propriétaires depuis moins de 5 ans), 0 % (pour les propriétaires depuis plus de 5 ans)0%20%
Revenus de location de biens immobiliers30%30%20%20%
Plus-values immobilières30 % (si la propriété est inférieure à 3/5 ans), 0 % (si la propriété est supérieure à 3/5 ans)30 % (si la propriété est inférieure à 3/5 ans), 0 % (si la propriété est supérieure à 3/5 ans)20%20%
  • Nouveau Les nouvelles activités assujetties à l’impôt et la base imposable pour les établissements permanents en Russie sont susceptibles d’augmenter

Le simple fait d’exploiter un chantier, un projet de construction ou d’installation, quelle que soit la durée (période) de cette exploitation, peut désormais suffire à constituer un établissement permanent en Russie et, par conséquent, à soumettre ses revenus à l’impôt russe. Avant la suspension de l’art. 5 de la CDI franco-russe, seuls les projets de construction ou de bâtiment d’une durée supérieure à 12 mois entraient dans le champ d’application.

Nous nous attendons également à ce que moins de dépenses (intérêts, redevances, frais de marketing et de promotion, etc.) soient acceptables comme déductibles aux fins du calcul de la base imposable des établissements permanents des sociétés françaises en Russie.

Ceci étant dit, nous pensons qu’à ce jour, cette suspension unilatérale de la CDI franco-russe n’aura probablement pas beaucoup d’impact sur les affaires françaises étant donné qu’un nombre important de restrictions et d’interdictions est déjà imposé par la Russie sur l’exportation de fonds et de paiements de la Russie vers la France (dividendes, remboursement de dettes, vente d’actions, etc.), ce qui a en fait arrêté une partie importante des transactions commerciales et rendu la restructuration simplement possible.

EN FRANCE

La manière dont la France réagira à cette suspension unilatérale par la Russie de la plupart des dispositions de la CDI franco-russe n’a pas encore été rendue publique.

Nous pensons que les deux options suivantes sont possibles :

  • La France invoque une violation substantielle d’une CDI franco-russe [4] par la Russie, qui peut constituer un motif de dénonciation du traité ou de suspension de son application en tout ou en partie.Dans les deux cas, tout impôt (majoré) qui serait prélevé par la Russie sur les revenus de source russe du résident français ne bénéficiera plus d’un crédit d’impôt en France. Toutefois, il devrait être possible pour le résident français d’utiliser cet impôt russe comme dépense déductible et de réduire ainsi sa base imposable en France. En cas de suspension bilatérale de la CDI franco-russe, nous pensons qu’il peut y avoir une limite à cette déductibilité correspondant généralement au taux d’imposition que la Russie était en droit d’appliquer en vertu de la CDI lorsqu’elle était en vigueur.
  • La France continue d’appliquer la CDI franco-russe et considère que la suspension est effective à l’égard de la Russie exclusivement : Les revenus de source russe qui, avant la suspension unilatérale par la Russie, pouvaient être soumis à l’impôt en Russie et qui, après la suspension unilatérale, sont soumis à un impôt plus élevé en Russie, devraient continuer à bénéficier d’un crédit d’impôt en France limité au taux d’imposition maximal auquel la Russie a droit en vertu de la convention fiscale franco-russe.

En ce qui concerne les revenus qui, du point de vue français de la continuité de la CDI, ne doivent être imposés qu’en France conformément aux règles de répartition de la CDI (par exemple, les intérêts et les redevances), mais qui ont en fait été imposés en Russie – après la suspension unilatérale – ces revenus peuvent en principe être déduits par le résident français en tant que dépenses, réduisant ainsi sa base imposable en France.

II/ Conséquences pour les résidents fiscaux russes

EN FRANCE

En fonction de la réaction de la France à cette suspension unilatérale, on peut s’attendre soit à un statu quo pour les résidents russes percevant des revenus de France, soit à des taux de retenue à la source plus élevés, avec un risque potentiel de double imposition par la suite en Russie (voir ci-dessous).

EN RUSSIE

La CDI franco-russe étant suspendue en ce qui concerne la Russie, cette dernière peut désormais être autorisée à imposer certains nouveaux éléments de revenus étrangers qui n’étaient auparavant imposables que par l’État de la source (par exemple, les revenus d’un établissement permanent d’une société russe en France). Toutefois, de telles situations devraient être plutôt rares dans la pratique.

Ceci étant dit, la manière dont la Russie gérera un crédit d’impôt pour les impôts payés en France par les résidents russes sur leurs revenus de source française n’est pas encore claire. D’une part, l’application de l’article 23 sur l’élimination de la double imposition n’est pas suspendue, ce qui signifie potentiellement que la Russie peut continuer à accorder des crédits d’impôt sur cette base. Toutefois, comme l’article 23 de la CDI franco-russe fait référence à des dispositions suspendues de la convention, celle-ci risque de ne plus servir de fondement juridique au crédit d’impôt en Russie.

Dans ce cas, veuillez noter qu’une possibilité de crédit d’impôt est clairement prévue dans la loi interne pour les entreprises russes qui perçoivent des revenus à l’étranger (article 311 du code fiscal russe). Toutefois, la situation n’est pas aussi claire pour les particuliers russes, car les dispositions du code fiscal russe (article 232) subordonnent la possibilité de bénéficier d’un crédit d’impôt pour l’impôt payé à l’étranger à l’existence d’une CDI autorisant un tel crédit. Par conséquent, nous pensons que tant que la CDI franco-russe n’est pas suspendue, il est possible de demander un crédit d’impôt à l’administration fiscale russe pour l’impôt payé/retenu en France. Toutefois, si la CDI est résiliée à l’avenir, aucun crédit d’impôt ne sera plus possible, à moins que les législateurs russes ne modifient le code fiscal en ce sens.

***

Nous espérons que cette alerte vous sera utile.
N’hésitez pas à nous demander conseil pour votre cas particulier.


[1] Décret présidentiel n° 585 sur la suspension par la Fédération de Russie de certaines dispositions des conventions fiscales internationales de la Fédération de Russie, 08.08.2023.

[2] Convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscales en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune (ensemble un protocole) en date du 26 novembre 1996, à jour de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices du 7 juin 2017.

[3] Par. 4 de l’article 37 de la loi fédérale n° 101-FZ « sur les traités internationaux de la Fédération de Russie » du 15 juillet 1995

[La Convention de Vienne sur le droit des traités permet de suspendre l’application d’un traité conformément à ses dispositions ou d’un commun accord entre ses participants (article 57 de la Convention de Vienne). La CDI franco-russe ne prévoit pas de procédure de suspension, ni à l’initiative d’une des parties à la CDI, ni à l’initiative des deux parties.

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